17/11/2008

Eux - nous

Nous avions eu notre lot d’histoires, Bruno, Clément et moi. Chacun avait tiré son temps de solitude et d’erreurs volontaires. Chacun en avait retenu des leçons différentes. De la grande ressemblance qui unissait nos jeunes âmes, des différences fondamentales sont apparues. A vingt ans, nous ne nous entendions plus. Nos corps s’étaient changés en ce que nous devenions. Face au danger, à l’humiliation, aux mauvaises intentions, nous n’aurions pas réagi ensemble de la même façon. L’un se serait peut-être tu, en attendant qu’un autre lève le poing, ou ne l’abatte. Le dernier, pétrifié, aurait passé sa journée du lendemain à se traiter de lâche. Nous votions encore pareil, mais seul Bruno avait gardé sa vindicte. Clément, dans quelques années, aurait peut-être reconsidéré ses engagements intellectuels. Quant à moi, je m’étais laissé gagné par la langueur, on disait alors l’apathie, je n’aurais rien pu trouver de plus confortable.
Et puis, au terme de ces vingt années d’amitié confuse, chacun d’entre nous s’était retrouvé en un lieu différent de son existence mais identique en ce qu’il ne s’y produisait plus rien et, nous rappelant, nous donnant rendez-vous au bar du dernier quartier de Paris encore habitable, nous nous étions retrouvés, et il n’avait pas fallu longtemps pour que le souvenir de la ressemblance nous rattache.

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